Schuldt offre mer et monde
Par Emmanuel Bernier – Le Soleil
27 septembre 2024
CRITIQUE / L’Orchestre symphonique de Québec «étrennait» son nouvel artiste associé jeudi soir. Le violoncelliste Jean-Guihen Queyras a proposé une version très personnelle du Concerto de Dvořák en compagnie de Clemens Schuldt, qui a livré une Mer d’anthologie.
Beaucoup de billets se sont vendus dans les derniers jours pour ce concert qui n’avait encore guère trouvé preneur jusqu’à la semaine passée. Signe de l’engouement créé par Clemens Schuldt et du succès du concert de la rentrée?
La soirée a commencé par une heureuse curiosité, l’Intermezzo de l’opéra Notre Dame de Franz Schmidt (1874-1939). Si l’ouvrage, inspiré du classique de Victor Hugo, a été à peu près oublié, l’extrait orchestral a néanmoins reçu la faveur de plusieurs chefs et orchestres.
Malgré sa brièveté, le morceau enchante par son orchestration veloutée et sa générosité mélodique, qui ne sont pas sans évoquer Richard Strauss. Le chef a choisi un tempo idéalement posé, laissant le temps aux cordes de chanter avec chaleur.
Composée à peu près en même temps, La mer de Debussy, qui suivait, est toutefois ailleurs en termes de style. Clemens Schuldt en a profité pour souligner le fait qu’il dirigeait l’œuvre en même temps que la Journée internationale de la mer, y allant pour l’occasion d’un court plaidoyer écologique.
L’interprétation de ce poème symphonique fut l’un des grands moments de ce chef à Québec. Dès le tout début de De l’aube à midi sur la mer, marqué «très lent» (combien de chefs nous font cela «andante»?), le musicien prend le temps de nous dessiner un subtil crépuscule avec modération qui allait plus tard donner encore plus d’impact au grisant climax du «midi».
Clemens Schuldt et l’Orchestre symphonique de Québec. (Andréa Doyle Simard)
Le concert s’est terminé par le Concerto pour violoncelle en si mineur, opus 104, de Dvořák, dont Victor Julien-Laferrière nous a laissé un souvenir impérissable il y a trois ans. Le moins qu’on puisse dire, c’est que Jean-Guihen Queyras, qui nous avait joué le Concerto no 2 de Haydn la dernière fois, a une conception très personnelle de cette œuvre phare du répertoire pour violoncelle.
Cela est particulièrement frappant dans le premier mouvement, où il s’approprie tellement sa partie qu’il prend régulièrement des libertés avec le rythme et le tempo, le chef le suivant à 100% dans ce parti-pris, dirigeant un début indécis plus près de l’«andante» que de l’«allegro», suivi d’un deuxième thème d’un lyrisme irréel.
D’aucuns ont pu sourciller devant de tels choix interprétatifs, mais Queyras, qui doit avoir envie d’autre chose après probablement des décennies à jouer cette partition partout sur la planète, veut visiblement sortir de la routine. Ce ne serait peut-être pas notre version de l’île déserte, mais l’artiste a le mérite de nous intéresser. C’est déjà beaucoup.
Rien à dire toutefois sur le mouvement central, d’une beauté sans nom, où le soliste nous gratifie d’une impressionnante palette de nuances (ces decrescendos!).
En rappel, celui qui s’est rendu récemment en Ukraine a joué une mélodie simple et plaintive de ce pays, avant le Prélude de la Suite no 4 en mi bémol majeur, BWV 1010, de Bach, un répertoire où il fait depuis longtemps merveille, ce à quoi il n’a pas manqué jeudi soir.